lundi 28 mars 2011

Deux tendances inévitables



J’ai compris à Joiners que le fait de fumer la pipe était un très bon conversation starter. Dès que Marc et moi avons pénétré dans ce bar / club de l’est de Londres, je me suis senti chez moi, ce qui est loin d’être le cas dans la majorité des endroits gays aujourd’hui. Il était 23h30, on était passé au George & Dragon juste à côté, le pub où tout le monde nous disait d’aller pour commencer une soirée dans le coin. Rien de renversant à part une ambiance sympa, ce qui est déjà très bien, et un mélange agréable d’hypsters, de lesbiennes, de mecs plus âgés à l’aise et une musique mélange de hits des années 80 Electro et de disques plus récents tout aussi Electro 80 joués par des jeunes teenagers qui auraient pu être des trans. On était serrés, la déco était drôle mais n’importe quoi dans le genre kitsch.
Joiners, à 200 mètres, était bien mieux. D’abord c’est plus grand avec de la place pour aller au bar, pleins d’endroits pour se mettre pour regarder ce qui se passe, des toilettes propres et modernes et le truc génial: une petite cour extérieure pour ceux qui veulent prendre l’air ou fumer une cigarette. Il y avait encore peu de gens qui dansaient mais c’était déjà bien rempli, on s’est mis naturellement devant un groupe de mecs funkys dont un barbu brun vraiment joli et souriant qui dansait.

Il y a plein d’endroits comme ça à Londres qui existent depuis des années et qui sont des clubs locaux, sans prétention, qui traversent le temps pour redevenir à la mode à un moment. Joiners me rappelle certains bars et clubs de l’East Village avec des murs laiteux, en tout cas pas sombres, quelques posters au mur qui n’ont rien de spécial mais qui ne font pas mal au yeux, quelques lumières (au plus fort de la soirée, j’ai noté UN spot qui clignotait — à ce stade du rudimentaire, c’est presque classe) et un mix parfait de beaux mecs (blancs, blacks, asiats, clones, bears, hypsters, folles) pas du tout prétentieux du genre « Je suis joli et je vais t’écraser avec mon look surcool », assez peu de filles mais quand même, des hétéros par ci par là, bref de quoi draguer des mecs vraiment bien sans être dans un bar de pré-cul bien lourdingue comme ailleurs.
Tout ceci a l’air très banal mais on sait, à Paris, que même le banal de ce type est rare, avec un personnel sympa, un vestiaire qui va vite et même, youpi, un distributeur de billets dans un coin si on a besoin de liquide. Après être allé aux toilettes, j’ai remarqué un barbu gentil qui me regardait d’une drôle de manière et 10 minutes plus tard, il est venu me voir et on a réalisé qu’on se connaissait depuis des conférences sur le sida des années 90. Il était là avec son mari psy américain juif, joli lui aussi, et ils connaissaient bien, forcément, le joli barbu brun dont je parlais plus haut, qui est espagnol, of course, et qui était au centre d’une bande de mecs tout aussi sympas. Tout à coup, entre la musique et le club qui commençait à prendre forme, on parlait de prévention et de Crystal parce que cet homme était au THT et il était confronté depuis des années à des gays qui lui reprochaient son jugement trop moral sur le cul et la drogue et la capote. On était sur la même longueur d’onde, tout en rigolant de ce qu’on nous faisait subir comme bêtises.

À ce moment, et c’est là où j’arrive au sujet, je me suis dirigé vers la cour extérieure avec l’envie de fumer une pipe. Il n‘y avait pas beaucoup de monde dehors, à la porte une femme noire en gilet de sécurité jaune fluo qui s’assurait que tout se passait bien et que les gens avec des cigarettes ne revenaient pas sur le dancefloor. Flying High de Freeez passait et je n’ai pas pu m’empêcher de souffler de soulagement à un petit black et son copain blanc : « Mmmm, I know this song » en sortant ma pipe et mon tabac. Le temps de sortir le briquet et de me mettre contre le mur pour ne pas déranger, j’ai senti le regard de 15 personnes se tourner vers moi, comme si j’avais un gros masturbateur Tenga Flip Hole à 89,90€ ou que je me faisais un fix devant tout le monde.

Les anglais et Marc sont venus me rejoindre avec des bières, tout le monde parlait comme si on se connaissait depuis longtemps, Marc s’est fait brancher par un beur français magnifique, un des plus beaux de la soirée, grand et smart, qui avait passé deux ans à Berlin et qui se souvenait des articles de Marc. Le psy juif américain avait passé deux ans à Toulouse et c’est la première fois que j’ai entendu un gay américain de me parler, en français, des merveilleux champs de tournesol sur les collines qui entourent Condom, dans le Gers, et des étendues des pins des Landes. L’espagnol nous a rejoint et de près il était encore plus joli et souriant, surtout quand un de ses copains espagnols, qui avait l’air d’être héréro – mais s’il était gay ? Mon dieu, ce serait le phénix des hôtes de ce bois — est venu dire qu’il allait partir. Un skinhead hollandais de 35 ans vivant à Londres est venu me voir pour me parler de ma pipe et, comme tout le monde, m’a dit que ça lui rappelait son grand père qui avait toujours à proximité une allumette pour relancer sa pipe éteinte. Je lui ai dit que c’était tout nouveau pour moi, que je ne fumais plus à cause de mon cœur et que je n’avais pas encore trouvé mes gestes naturels. « I haven’t got my moves yet » et alors il m’a pris la pipe pour me montrer en faisant des poses à la Popeye et j’ai souri en lui disant que non, justement, ce n’était pas ça que je voulais faire. Il faut savoir fumer la pipe sans attirer l’attention et ressembler à un cartoon.

Tout ça a commencé il y a 3 mois quand mon cardiologue m’a dit: « Vous savez, si vous êtes vraiment frustré à l’idée de ne pas fumer, vous pouvez fumer sur une pipe de temps en temps ». Je lui ai dit que j’arrivais très bien à ne pas fumer, ça faisait trois ans, mais que ça avait changé ma relation au jardinage, le fait de finir une journée de bon travail et de ne pas pouvoir regarder le jardin avec une cigarette, comme une récompense ou un plaisir de contemplation. Par exemple, il m’est totalement impossible d’aller à la mer et de passer une après midi sur la plage ou de revenir de la baignade sans fumer une cigarette. La mer, c’est tellement beau que je refuse catégoriquement de m’empêcher de fumer une cigarette ou deux parce que c’est une célébration de cet espace, de tous les souvenirs de ma vie associés à la mer et à l’amour des hommes qui m’ont accompagné et qui sont restés avec moi sur le sable, comme les amoureux le font. En fait, je crois que je ne passe plus de vacances à la mer parce que je redoute inconsciemment de retomber dans le tabac.
Quand il m’a parlé de la pipe, j’ai été surpris et je me suis dit: un cardiologue qui autorise une pipe de temps en temps ? C’est pas possible. Et puis il m’a dit que le tabac des cigarettes était nettement plus nocif que celui de la pipe, ce que je savais, mais j’en suis resté là. Au fil des mois, je me disais que fumer la pipe pourrait contribuer à une autre image de moi-même, plus daddy, plus calme, comme un tatouage dans le cou ou comme le fait de se tenir un Komboloï comme le font les papys grecs ou turcs sur la place du village.
Et puis un jour je suis passé par l’Emmaüs de ma ville et, bien sûr, dans une boite il y avait plein de pipes que personne ne voulait acheter et je me suis dit qu’il valait mieux essayer avec des vieux objets à 1 euro pièce plutôt qu’acheter une pipe toute neuve et réaliser ensuite que ce n’était pas une bonne idée. Je suis revenu à la maison, j’ai démonté les pipes et je les ai nettoyées et désinfectées. La première, droite et simple, était la plus basique. La seconde avait cette courbe old school qui retombe sur le menton, pour essayer aussi.
Et après, j’ai fumé ma première pipe, dans le jardin. J’ai tout de suite retrouvé l’impression de mes 5 ans, quand j’essayais la pipe froide de mon père qui était passé par là avant d’arrêter pour de bon les cigarettes pour ne plus revenir en arrière. Je me suis regardé dans la glace en rentrant dans la maison pour vérifier si j’avais une gueule de vieux schnock ou pas. J’avais acheté le tabac le plus doux. Je suis sorti à nouveau dans le jardin. En effet, le cardio avait raison, la nature avait l’air plus belle encore, comme si la petite fumée qui sortait de la pipe me liait davantage avec le paysage de la fin de l’hiver.


Quand nous sommes partis de Joiners, Marc et moi étions très heureux de notre nuit. Personne ne s’attendait à rencontrer qui que ce soit et tout le monde dans ce club était génial. En traversant le quartier, à trois heures du matin, le George & Dragon était entouré de camions de flics qui disaient à tout le monde de quitter la rue RIGHT NOW comme si une explosion de gaz était imminente, mais les rues étaient envahies de party goers hétéros bourrés, drôles, se jetant sur n’importe quel vendeur de snacks pour faire marcher le système digestif après tant d’alcool et de bières. Tout le monde me dit que l’ecsta disparu de Londres et que tout le monde est revenu à l’alcool, like old times. En passant devant ce qui était avant le LA Bar où j’allais parfois, le grand pub slash club SM slash cuir des années 90, et désormais un club hétéro, il y avait plein de beaux mecs bourracha, Londres quoi. Moi qui ne voulait pas sortir, j’étais très content de cette nuit, malgré le froid. Dans le bus de nuit pris à Old Street, plein de filles qui jacassaient et rigolaient, typique. La nuit à Londres est toujours plus rigolote, même quand il gèle le 31 décembre.
Depuis sur Tumblr, je vois de plus en plus de photos de mecs barbus avec des pipes. Il y a 4 mois, je ne crois pas que j’en voyais autant ou alors je ne faisais pas attention. Hier soir, dans True Grit, Matt Damon fumait une ce ces très belles pipes blanches du Far Ouest. Je n’ai pas encore cherché la pipe que je vais m’acheter pour passer de la pipe Emmaüs à une vraie, mais j’ai toujours aimé ces pipes banches ou beiges. Très Hemingway. Il y a définitivement un revival de la pipe qui va s’étendre aux plus jeunes, c’est gros comme une maison, et je me trouve dans cette tendance grâce à un cardio qui a été assez gentil pour m’offrir, à condition de ne pas le faire souvent, un moyen de me reconnecter avec mon jardin et mes sorties dans les clubs gays.

L’autre tendance irrévocable, c’est celle des initiales sur les chemises. Bon là je m’avance dans un domaine fashion qui n’est pas le mien, mais je ne suis pas la dernière idiote non plus sur ces sujets et je suis capable d’être le premier à découvrir Supreme et Nixon dans les années 90 mais on ne va pas crâner non plus hein. Les tendances, je les vois venir gros comme un pustule de condylome sur l’anus d’une folle pas safe. Il y a 4 ans, dans Cheikh, je racontais que j’avais remarqué une boutique de blasons dans le centre de Saint Malo et je m’étais dit que c’était inévitable. Et pouf, on a vu après des blasons apparaître sur toutes les vestes preppy ou pas, puis déborder sur le streetwear, des logos de Ralf Lauren qui multiplient leur taille par 110%, une hérésie si vous me demandez mon avis. Et là, sur Brick Lane, on voit des dizaines et des dizaines de magasins de fripes dirigés par des anciens babas house, exactement comme Flip à Covent Garden dans les années 80 ou rue Tiquetonne dans les années 90. Le vintage (ce mot !) développe même des marques comme Canterbury de Nouvelle Zélande (qui ne voudrait pas avoir un logo brodé de kiwi ?) qui font des polos de rugby avec tellement de logos et de couleurs que c’est exactement ce que faisait le Sentier en… 1985.
Quand on était petits (il y a très longtemps !), nos mères et nos grand mères brodaient sur nos serviettes, nos gants et nos chemises les initiales de nos noms pour ne pas mélanger les habits des frères et ne pas perdre les survêts à la gym. On n’aimait pas particulièrement ça, on ne nous demandait pas notre avis de toute manière, c’était la France des années 60 quand les habits se gardaient longtemps et que les parents étaient trop heureux de personnaliser les habits pour mieux les posséder, je suppose. Il y avait déjà, à cette époque, un côté vieux jeu et old times dans ces petites languettes avec vos initiales (dans mon cas, DL, ou Down Low pour les intimes) et mes frères et moi n’aimions pas particulièrement ça.
Et puis, il y a 5 ans, quand mon père a vendu sa ferme et qu’il a fallu aider à vider la maison pour trier tout ce qu’il fallait jeter, je suis tombé dans les placards sur un certain nombre de torchons et de petites serviettes au nom de mon frère ainé. Je les ai prises car je les ai trouvées jolies, la broderie de ses initiales était simple et ça m’a attiré.
Ces dessins de lettres se trouvent aujourd’hui dans le tatouage. Et il est évident que l’obsession actuelle pour le logo, la marque, l’estampille, le tampon, le marquage, le branding, tout ce qui peut transformer une chemise toute bête, ça va revenir, c’est obligé. Dans les dernières décennies, seuls les gens très riches qui se font faire des chemises sur mesure chez Charvet continuaient à mettre leurs initiales. C’était vraiment un truc de bourge de la rive gauche. Aujourd’hui, tout le monde va s’y mettre. Vous imaginez un barbu sympa, hypster mais pas dingue, en train de porter une chemise toute simple avec ses initiales brodées en petit sur son cœur avec une pipe en bois de bruyère de Saint-Claude. Pfff, it’s a turn-on assuré. Et quel conversation starter ! Love comes quickly !

2 commentaires:

Anonyme a dit…
Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.
anonym 537 a dit…

ça me rappelle l'histoire d'un homme et de son amoureux, ouais sur ce blog. Les mecs entraient dans un cinoche de Panam. Yavait un problème de son...le plus vieux super stress. Des Bobos partout. London, l'homme retrouve son flegme et sa pipe. Babas cool...