mercredi 3 novembre 2010

Sur la route




Dans de nombreux films, on voit des gens traverser en voiture les étendues de l’Amérique ou d’ailleurs. J’en ai encore vu un hier, « The Private Life of Pippa Lee » dans lequel Rebecca Miller et Keanu Reeves traversent une simili savane du Far West avec un soleil rouge caractéristique. Et à chaque fois, à chaque film, je me demande quand on va enfin voir quelqu’un piler au milieu de la scène et sortir en courant parce qu’il a vu une belle plante sur le côté de la route. C’est le rêve de tous les jardiniers, de s’arrêter pratiquement n’importe où parce qu’une graminée que vous avez remarquée quelques instants auparavant vous intrigue et, tiens, en voilà une qui est juste là sur le côté et vous stoppez illico pour la voir de plus près. C’est une plante que vous n’avez jamais vue, normal, vous êtes loin de la maison et il n’y a personne sur cette route de désert et ce n’est pas comme si vous gêniez la circulation, vous êtes seul et personne n’est dans la voiture à râler parce que c’est la dixième fois que vous faites le coup en une heure.

Vous arrêtez le moteur et vous sortez de la voiture, le regard dirigé vers l’endroit où vous avez vu cette pante et vous descendez dans le fossé pour pénétrer dans le désert. La plante est là, en parfaite santé, c’est une de ces milliers d’espèces qui poussent partout. Elle a attiré votre regard et vous êtes désormais à 50 cm, la tête penchée, pour la voir de plus près. Un gros soupir d’émerveillement. Vous vous agenouillez dans la poussière et les brins d’herbe pour obserser ce qui l’entoure et toucher la base de la terre pour sentir comment sont les racines. S’il y a des fleurs, vous les sentez à tout hasard, s’il y a de jolies feuilles, vous les touchez, doucement. Non, vous ne prenez pas tout de suite votre iPhone pour faire une photo et non, vous twittez encore moins « J’ai trouvé un Chionochloa rubra dans son élément naturel en Nouvelle-Zélande et il y en a plein sur la colline » (140 signes). Vous jubilez plutôt car il fait encore jour et vous avez le temps. En fait, vous êtes venu dans ce coin du monde pour ça.

Car derrière la plante, il y a tout le reste, cette étendue de nature qui se déploie et que vous regardez ensuite à 360°, il n’y a pas de bruit, le vent léger sur les feuilles, à peine, enfin l’air n’est pas statique quoi, et vous êtes le seul à vous arrêter sur cette route. C’est la version jardinage du « Stop the world, I want to get off ! » : je veux descendre de la voiture tout de suite pour voir cette plante ! En plus, il y a des graines partout et comme vous êtes un passionné nerd de dingue, vous avez préparé des petits sacs pour en prendre autant que vous voulez.
Ce genre de descente de voiture peut durer des heures car il y a toujours à 20 mètres une nouvelle plante ou une sous-espèce ou même une autre que vous avez déjà vue mais qui est vraiment en bonne santé, toute belle et solide. Ce sont des plantes complètement sauvages, la plupart vous sont totalement étrangères et vous regardez la terre pour savoir en quoi elle consiste, s’il y a beaucoup de sable ou des cailloux. Bientôt la voiture est très loin et il faut l’arrivée d’un phénomène naturel comme la pluie ou la nuit pour vous faire faire demi-tour, à contre cœur, mais content. Bonne chasse.

Avec tous ces films qui nous ont montré l’intérieur des Etats-Unis et les immenses paysages traversés par les acteurs en voiture ou à cheval, il n’y en a pas un seul ou un personnage se serait arrêté pour cueillir des fleurs. J’ai entendu dire qu’il y a des lois pour interdire aux voitures de s’arrêter sur le bas côté et mon ami Robert m’a raconté que lorsqu’il a traversé un parc célèbre, cet été, la police américaine était très présente et ils ne rigolait pas avec l’idée de pénétrer et donc d’abîmer potentiellement les espaces sauvages. J’espère que ce n’est pas le cas partout. Dans ces road movies, on se demande forcément ce qui se serait passé si Thelma et Louise avaient freiné au bout du premier kilomètre dans une étendue de fleurs comme on en trouve dans le Namaqualand à un moment précis du printemps. Le plus proche, c’est bien sûr « Into the Wild » où Emilie Hirsch sort vraiment de la route pour pénétrer dans l’inconnu, mais toute personne qui s’y connaît savait déjà qu’il finirait très vite sur une plante toxique (elles sont nombreuses) donc on a pas trop adoré cette partie du film. Après tout, c’est une plante qui tue le personnage principal.

Ces road movies ne montrent pas les acteurs pénétrer dans la prairie, la savane ou le désert parce que l’impression moderne, pour tous ceux qui sont nés à la ville et non pas à la ferme, c’est que la nature est dangereuse – et elle l’est. Mais pas au point de redouter de s’arrêter trois heures dans la Garrigue pour regarder de près les plantes merveilleuses et biscornues qui vivent des Corbières à Marseille, par exemple. Dès que ces films montrent des gens qui s’arrêtent quelque part, ça tourne au film d’horreur comme « La Colline a des Yeux » (j’aime le film, ça n’empêche pas). L’idée sous-jacente, c’est qu’il faut conduire d’une traite à travers ces étendue inhabitées et surtout ne pas s’arrêter dans la nature. Si vous sortez de la voiture, vous êtes déjà mort.
Il a souvent été dit que les acteurs du « Projet Blair Witch » n’ont aucune idée de la nature, ce ne sont vraiment pas des castors juniors. Même si l’endroit est hanté, tout le monde devrait savoir que si l’on trouve une rivière, comme c’est le cas dans le film, il suffit de suivre le cours d’eau car il mène toujours quelque part, même si ça prend des jours. Ces kids ne savent pas où sont les étoiles, ils ont tous grandi dans un environnement périurbain et ça donne désormais des amis qui viennent des fois chez moi et qui ne sont pas allés depuis 20 ans dans la forêt (véridique!) et qui, par conséquent, se promènent en caressant négligemment de la main la tête des orties Des orties ! S’il y a bien une plante que tout le monde devrait connaître par cœur, se sont les orties.

Quand je vais quelque part en voyage, j’ai réellement besoin de quitter l’hôtel ou l’endroit où je me trouve pour aller voir les plantes qui poussent au bord de la route ou dans les terrains vagues qui ne sont pas loin. Je fais déjà ça sur la plage en regardant les cailloux. C’est pour ça que j’ai ce problème de plus en plus avec les villes, c’est qu’il n’y a rien à voir de ce côté. Mon rêve serait de passer 15 jours dans une cabane d’un grand ranch où il faut plusieurs heures pour y aller en cheval ou en voiture et rester là, au bord d’une petite rivière, à quadriller tout l’espace autour de la cabane en regardant ce qui pousse.

J’ai un ami qui m’a dit un jour que ce serait une bonne idée de faire la route entre Dallas et Marfa au Texas, tout ça afin de s’arrêter dans toutes les stations d’essence sur le chemin pour regarder les gens et surtout les hommes. Pour finir chez Donal Judd et James Dean. Je trouvais cette idée géniale surtout parce que je savais que j’aurais l’occasion de m’arrêter plusieurs fois sur le bord de la route. Il y a des milliers d’endroits comme ça à travers le monde et même en France et je sais que je ne les ferai pas, ou plus beaucoup, parce que le temps passe vite et il y a des rêves plus urgents à réaliser avant que ce ne soit trop tard. Ce sont des choses qu’il faut faire seul ou avec quelqu’un qui est vraiment passionné par la nature, et il y en a de moins en moins. OK, il y a de plus en plus de monde qui jardine, et c’est formidable. Mais la modernité de la vie a changé l’identité même de la nature. Des événements comme la Course du Rhum sont des hérésies pour moi, une sorte de machination de l’industrie de la mer, qui a toujours un délire de domination économique des océans. Je sais pas pourquoi je dis ça ici, je déteste ce truc de Bretons.

Désormais, des millions de personnes à travers le monde font des randonnées à pied ou à cheval et toute cette immense philosophie acquise n’est représentée par personne, à part, OK, la photographie. Je ne sais pas s’il existe l’équivalent d’un John Muir, mais il doit y en avoir. En tout cas, la prochaine fois que vous prenez la voiture, essayez au moins de regarder ce qui pousse sur le bord de la route (pas d’accident quand même). C’est hallucinant ce qu’on y trouve. On pourrait faire un jardin entier uniquement avec ces plantes. C’est la base botanique de tout.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

In back of the Supermarket,
in the parking lot weeds,
Purple flowers

Jack Kerouac, le livre des haïku